Réhabiliter les fusillés pour l’exemple ? On confond tout… (par Gabrielle Cluzel)
Les cérémonies commémoratives du 11 novembre prochain seront-elles
l’occasion de réhabiliter les 650 militaires « fusillés pour l’exemple » de 14-18 ?
L’historien Antoine Prost, chargé par le ministre délégué aux Anciens combattants Kader Arif de travailler sur la question, vient de rendre son rapport. À dire vrai, Kader Arif, désormais célèbre par sa propension à couper la chique des spécialistes par ses déclarations intempestives, ne l’a pas attendu pour affirmer que ces fusillés avaient « toute leur place dans l’histoire de notre nation ».
La problématique du rapport était donc plus de savoir si ces soldats devaient faire l’objet d’une réhabilitation collective ou d’une gestion de cas individualisée, la première ayant pour elle son caractère rapide, la deuxième sa capacité à ne pas mettre dans le même sac erreurs judiciaires manifestes, désertions « simples » par automutilation ou abandon de poste, et meurtre du supérieur hiérarchique ou collusion avec l’ennemi. Antoine Prost prône quoi qu’il en soit une approche « pédagogique » et « transparente » avec notamment la mise à disposition en ligne de tous les dossiers.
Une réponse prudente pour ce qui ressemble, comme nombre d’initiatives de ce gouvernement, à une bonne intention en sous-tendant mille mauvaises.
Une bonne intention car évidemment, avec le recul du temps, comment ne pas compatir, ne pas trouver toutes les circonstances atténuantes à de pauvres hères, épuisés,
rongés par l’angoisse, la gale, la dysenterie, le froid, et le désespoir, envoyés malgré eux dans l’enfer des tranchées. Comment ne pas nous demander si nous autres, à leur place, n’aurions pas
« craqué » comme eux, et peut-être même bien avant eux. Comment ne pas penser qu’ils ont payé eux aussi leur tribut à cette guerre, un tribut d’autant plus lourd à porter pour
la famille qu’il est un tribut de déshonneur.
Mais mille mauvaises intentions aussi car, évidemment, la démarche est connue. Incapable d’agir sur l’avenir, le gouvernement englué se venge sur le passé, et règle des comptes idéologiques vieux de cent ans. Plus facile de gagner les guerres d’hier que celles d’aujourd’hui.
Si les
déserteurs sont collectivement « réhabilités », entendez « canonisés » et inscrits sur les Monuments aux morts, la leçon pour nos enfants sera pour le moins
étrange. Une chose est de trouver des excuses, une autre de tout confondre. À renvoyer comme toujours dos à dos coupables et innocents sous prétexte qu’ils seraient d’une certaine façon tous
« victimes » de la société, ce gouvernement ne risque-t-il pas de faire régner confusion et iniquité ?
Les hisser au rang de héros tombés pour la France au même titre que tous les braves gars qui peuplent les cimetières militaires ressemble bien à une injure post-mortem, à un déni de l’humble courage de ces-derniers. Que ne se sont-ils débinés eux-aussi, hein ? Puisque la « patrie reconnaissante » ne les loge pas à meilleure enseigne que les tire-au-flanc. Après tout, pendant cinquante ans on s’était passé de l’Alsace et de la Lorraine, la terre n’avait pas arrêté de tourner.
Et si le gouvernement
veut vider toutes les prisons, y compris celles de l’Histoire, aller jusqu’au bout de la démarche peut s’avérer dangereux. Prenons une autre guerre, plus récente. Il faut se remettre dans le
contexte, les conditions de vie étaient dures, l’occupant allemand terrifiant, des âmes moins trempées que d’autres ont été tentées, dans l’adversité, de pactiser avec l’ennemi. Plusieurs ont
été, parfois de façon sommaire, jugés et fusillés lors de l’épuration. Sur les plaques commémoratives, la patrie indulgente doit-elle leur réserver la même place qu’aux résistants ?
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