Crimes sexuels : vers l’abandon de la prescription ? (par Marie Delarue)
C’est l’histoire d’une dame qui pousse la porte d’un hypnotiseur. À peine abandonnée sur le canapé, la cervelle sous l’emprise de la voix murmurante du monsieur, il lui revient
tout d’un coup comme un train dans la gueule le viol qu’elle a (aurait ?) subi à l’âge de 5 ans.
Elle réfléchit encore deux ans, puis porte plainte en 2011. En avril de l’année suivante, le juge d’instruction rend une ordonnance constatant la prescription des faits, confirmée en janvier 2013 par la cour d’appel de Poitiers. Peut-être a-t-il songé aussi, ce brave homme, que les faits, passé ce délai, seraient difficiles à établir…
La dame s’est trouvé là une grande cause à défendre : sa séance
d’hypnose lui a conféré le statut aujourd’hui si enviable de victime et celui, tout aussi noble, de croisée de la Vertu. Aidée des associations de défense des femmes, elle a porté l’affaire en
cassation où elle devait être examinée ce mercredi 5 novembre, réclamant qu’il n’y ait aucune prescription en matière de crime sexuel.
Son avocat, nous dit Le Nouvel Obs, le très empathique Me Gilles-Jean Portejoie (c’est lui qui défend la mère de la petite Fiona), « s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation concernant des infractions comme l’abus de bien social, dont le délai de prescription ne court qu’à partir de la découverte des faits et non de leur commission ». À ceci près, cher Maître, que les songes sous hypnose sont un peu plus fumeux que les fausses factures et détournements de fonds.
Le droit français étant fondé sur l’aveu et la preuve, il n’y a guère que les nœuds au cerveau de la dame pour attester de la véracité ou non des faits. La preuve du crime, nous
assure-t-on, serait justement qu’elle l’avait oublié durant 35 ans. « L’amnésie traumatique », dit l’avocat, est « tout à fait compatible avec les connaissances
actuelles de l’évolution à l’âge adulte des abus sexuels subis dans l’enfance ». Sur quoi la dame renchérit : « Pour les victimes de ce type d’abus, le droit à l’oubli
n’existe pas, on porte les stigmates toute sa vie. » Peut-être que oui, peut-être que non. Un certain Boris Cyrulnik, dont la petite enfance d’enfant juif ballotté dans la guerre fut
loin d’être rose, a justement construit tout son travail de psychiatre sur le concept de « résilience » (renaître de sa souffrance). Même si la victimisation est fort à la
mode, nous ne sommes pas, Dieu merci, réduits à nos souffrances passées ! Sans oublier qu’il n’est pas exclu, ici, que les souffrances en question soient autre chose qu’une suggestion sous
hypnose.
La dame, à l’évidence, s’est trouvé là une belle raison d’être. Si elle n’obtient pas gain de cause devant la Cour de cassation, elle ira devant la Cour européenne des droits de l’homme. (Avec une indemnisation de la France à la clé ?) Non mais.
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