70 ans déjà : Joyeux anniversaire, Martine !
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Gabriel Attal a eu 35 ans samedi, mais je crains bien que nous ne nous en foutions complètement. En revanche, il y a une petite jeune fille qui fête ses 70 ans. Depuis 1954, elle n’a pas pris une ride, son village non plus, ni son chien Patapouf, ni son malicieux grand-père. Vous l’avez reconnue : c’est Martine, dont le premier album a donc été publié par Casterman il y a sept décennies.
Martine est née de l’imagination de Gilbert Delahaye. Cet ouvrier typographe né de père belge, normand d’adoption, s’était fait connaître par ses œuvres poétiques. Il eut l’idée, sur le modèle de la série Bécassine, d’imaginer une petite jeune fille qui vivrait des aventures toutes simples, ancrées dans la vie quotidienne. Sa collaboration avec Marcel Marlier, dessinateur de grand talent, allait faire naître ce que l’on peut raisonnablement appeler un mythe de la culture populaire (au sens de Roland Barthes, pour ceux qui veulent). Marlier travaillait à la gouache et apportait aux détails de ces histoires, initialement destinées aux 5-8 ans, un soin minutieux et charmant.
Martine, petite fille citadine des années 50, était résolument de son temps : elle allait régulièrement à la campagne pour retrouver son grand-père et, partant, des racines pas si lointaines à l’époque. On était aux débuts de l’exode rural, dans une France encore très majoritairement reliée, par un tissu social très vivant, à la campagne qui était l’essentiel de son territoire. Vinrent les années 60, la liberté grande et le temps « du formica et du ciné », comme chantait Jean Ferrat. Martine voit arriver l’électroménager dans sa maison, s’offre une virée à New York et profite d’une vie qui semble désormais totalement insouciante et nous paraît aujourd’hui un peu kitsch. Et puis, le trait se stabilise, les histoires aussi, et Martine devient celle que nous connaissons bien : une petite fille immuable et naïve, qui apprend à monter à cheval, à nager ou à cuisiner (certains albums comportent même des recettes simples). Si les éclairages des illustrations ou le choix des couleurs évoluent ici ou là, on observe néanmoins deux constantes : dans la narration, une simplicité douce ; dans l’illustration, un luxe de détails réalistes.
Les années 80, auxquelles on peut faire remonter le début de l’archipellisation de la France, commencèrent à voir Martine d’un œil soupçonneux : n’était-elle pas une petite-bourgeoise, enfermée dans des stéréotypes sexistes (on dirait aujourd’hui « de genre ») et très peu soucieuse de justice sociale ? N’est-elle pas, ajouterait-on aujourd’hui, une petite fille blanche et privilégiée, venue d’un monde occidental colonialiste et intrinsèquement normatif ? Et pourtant, malgré les attaques stupides ou sordides, le succès de Martine continue de ne pas se démentir, bien après la mort de ses trois auteurs (puisque ce fut Jean-Louis Marlier, fils de Marcel, qui succèdera à Delahaye pour les scénarios). On publia même, il y a peu, des versions « simplifiées » (en français de pacotille, donc) de ces belles histoires. Échec total : il y a encore des niches pour l'excellence dans les coins les plus inattendus des librairies…
Joyeux anniversaire donc, chère Martine ! Repartez donc encore une fois, jolie demoiselle, sur les chemins vicinaux de la tendresse, avec Patapouf et Moustache, avec votre petit vélo qui se casse la figure, vos amis que vous retrouvez sur les pavés de la grand-place, sous les poutres des halles, comme il y en avait jadis partout… Soixante-dix ans d’aventures, mais huit ans pour toute la vie : c’est peut-être ce que nous pouvons souhaiter de mieux pour nous-mêmes et nos esprits parfois si las de la médiocrité et de la rouerie ordinaires. C’est tout de même autre chose que l’anniversaire d’Attal, ministricule risible et sans pouvoir, entouré de stagiaires illettrés, obéissant à un Jupiter de carnaval qui joue à la guerre comme Martine jouait à la ferme…
Arnaud Florac
Source : http://bvoltaire.fr
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