« Indépendante », une librairie où Marsault est traité de fasciste ?

Il y a, dans l’univers de la bande dessinée, un phénomène grandissant nommé Marsault, qu’il est difficile d’ignorer si l’on fréquente les réseaux asociaux.
Ayant déjà lu plusieurs de ses albums, je languissais cette fin de semaine pour me procurer enfin son dernier tome. Fidèle à une fameuse librairie de ma ville, autoproclamée « indépendante », j’y entrai plein d’entrain. N’ayant jamais douté de cette qualité de plus en plus rare, je pensais pouvoir y trouver mon bonheur sans difficulté.
Une dizaine de minutes passèrent sans que je pusse trouver la fameuse tranche rouge ornant les volumes de BREUM. La BD devait être rangée à l’écart (ségrégation artistique ?) ou, mieux, en rupture de stock ! N’étant pas un habitué de ce rayon, je me rapprochai de la libraire, absorbée dans une conversation avec deux étudiants en fac de lettres. Le sujet portait sur les mangas érotiques pour jeunes adultes esseulés, pratiquant plus l’onanisme que la lecture. Dialogue savoureux, mais qui ne laissait présager rien de bon pour ma requête… Remarquant enfin ma présence, la conseillère en littérature appliquée m’afficha un sourire factice de commerçante agacée. Elle désira néanmoins connaître le motif de ma présence – déjà – inopportune, et je lui mentionnai le nom du dessinateur peu porté sur les concessions.
Tonnerre ! En un instant, la courtoisie de façade se fissura pour laisser place à un visage froid comme un couperet.
« NON ! Nous n’avons pas de Marsault ! Et nous ne le commanderons pas ! »
Benoîtement, je voulus connaître les raisons d’un tel manquement, bien que je me doutasse des motifs en cause. Réponse pachydermique de l’exubérante : « Jamais un auteur fasciste ne sera présent dans ces rayons ! C’est moi la responsable du catalogue ! Je suis profondément antifasciste, et c’est ma librairie ! Euh, mon rayon ! Je vous ordonne de dégager immédiatement. » S’ensuivit un monologue monomaniaque enrobé de bien-pensance dégoulinante. À bout d’arguments, l’hystérique menaça d’appeler la sécurité sous prétexte d’insultes (aussi imaginaires que sa grandeur d’âme) proférées envers sa personne. En plus d’un aveuglement altier, l’idéologie peut aussi créer des hallucinations auditives. Pathétique.
Mais drôle à voir : plus elle gesticulait et bafouillait, plus elle se métamorphosait en un véritable dessin de Marsault ! Prête à croquer dans sa logorrhée droit-de-l’hommiste.
Et dire que toutes ces histoires sur des libraires censeurs me paraissaient un brin exagérées…
En sortant, ébaubi par un tel déploiement d’intolérance, je repensai à leur dernière vitrine, dédiée à Despentes. Cette ancienne critique de films pornographiques devenue le bas-bleu préféré des rebelles de salon affirmait récemment que « Booba n'[était] pas assez pris au sérieux comme auteur ». Presque aussi drôle que du Marsault !
PS : l’album fut trouvé à la FNAC.
Victor Cinquin
Source : http://bvoltaire.fr
Commenter cet article