Juppé, ma belle-sœur et la génétique (par Pierre Mylestin)
Vous vous rappelez ma belle-sœur. Elle a une mère. Ma belle-mère. Ma belle-mère possède avec ma belle-sœur un patrimoine génétique commun qui fait dire à la première et possiblement à la deuxième aussi, par exemple, au sujet de l’abattage halal : « Il faut voir le côté positif des choses, au moins c’est du bio. » Le décor ainsi planté, les âmes charitables compatiront avec mon supplice obligé récurrent. Que voulez-vous, l’amour rend aveugle. Les esprits taquins renchériront qu’il rend carrément sourd aussi. À la folie. Passons. Vite.
Récemment, nous étions en réunion de famille dans la maison de campagne de mes beaux-parents. Charmante demeure sise dans un environnement boisé où ladite belle-sœur, intolérante au gluten et au culte catholique, célébrait pour son aînée je ne sais quelle liturgie sibylline de substitution à la cérémonie de communion du culte honni. Inutile de vous dire que le gotha progressiste de la bien-pensance était raisonnablement bien représenté, ce qui n’arrangeait rien, vous le devinez bien, à mon golgotha de circonstance. Le « parrain » de l’aînée susmentionnée s’appelait d’ailleurs Claudine.
Ma présence faisant invariablement tache dans ce concentré de béatitude au mètre carré, je me résignais souvent dans ces conjonctures à traîner dans le jardin, dans la bibliothèque et souvent dans la cave à vin de mon beau-père où les allègres considérations d’Emil Cioran me tenaient une bienveillante compagnie. Pourtant, afin de ne pas trop provoquer l’ire de vous savez qui, une présence syndicale minimale dans cette promiscuité idéologique était un prérequis. « Libre et sans contrainte », qu’il disait, l’autre.
Et c’est là que, parmi cette foule intentionnellement anonyme, je tombais, vulgairement abandonné sur le coin d’un fauteuil, sur un mensuel à teneur hautement intellectuelle, dont la couverture représentait fièrement, façon dandy, le meilleur d’entre tous. L’incorruptible Alain Juppé faisait la couverture des Inrockuptibles, titrant « Juppémania, le moins pire d’entre eux ? Entretien ». Tiens, tiens. « Les Inrocks ? » questionnai-je. « Je trouve la photo belle, ça le rajeunit, et en plus il donne une image humaine de la droite. Ça pourrait inciter tous ces jeunes qui cherchent leur identité à ne pas se fourvoyer par le discours des extrêmes, me rétorqua-t-elle. Ce n’est pas comme Sarkozy qui, en plus, fait aujourd’hui du bête anti-hollandisme, comme Hollande, hier, faisait du bête anti-sarkozysme. Juppé, c’est un rassembleur, un homme de conviction, un sage ouvert aux autres cultures, le candidat pour tous, […] il a beaucoup fait et construit pour sa ville et il fera aussi bien pour la France. » D’accord.
Cette logorrhée de verbiage onirique résonnait dans mon esprit comme le discours d’un imam passablement modéré au lendemain d’un acte isolé commis par son coreligionnaire immodéré. Un imam en tailleur Chanel se tenait là devant moi, me faisant l’apologie de celui qui sera à la droite normale ce que Hollande a été à la présidence normale. Juppé qui, en 2011, conseillait avec sagesse de ne pas « stigmatiser a priori tous ceux qui se qualifient d’islamistes », qui va offrir une mosquée-cathédrale à ses électeurs, qui refuse de dénaturer le mariage pour tous et qui a remis, sous Hollande, la Légion d’honneur à l’imam Tareq Oubrou, qui déclarait : « L’islam touche à tous les domaines de la vie. Comme le veut le Coran, c’est un État, c’est un pays, dans le sens géographique, c’est-à-dire qu’il regroupe toute la communauté dans une géographie où il n’y a pas de frontières. La frontière entre deux pays musulmans est une hérésie méprisable par l’islam. La politique des musulmans, ce n’est pas la politique des autres, la politique des autres est construite sur le mensonge. » CQFD.
Alain Juppé, cette sorte de Stéphane Hessel non indigné, nouvelle égérie de l’UMPS, était donc le favori de ma belle-mère, mère de la mère de mes enfants. Et ma grosse frayeur, celle qui va inévitablement me valoir des cauchemars, n’est pas seulement que Juppé devienne le prochain président de cette République heureuse, mais que mes enfants possèdent une fraction de ce patrimoine génétique.
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