Festival : Chalon-sur-Saône, entre indigence et propagande… (par Joris Karl)
Le hasard a fait que j’étais le week-end dernier à Chalon-sur-Saône au moment de « Chalon dans la rue », festival annuel de la ville. Rues bondées sous le cagnard.
Presque irrespirable. N’étant pas fan du spectacle de rue, je faisais contre mauvaise fortune bon cœur.
« Chalon dans la rue », c’est gratos après tout. Entre deux gorgées de bière coupée à l’eau, entre deux engloutissements de churros huileux, on peut bien tomber sur quelque chose de sympa. Enfin, l’espoir fait vivre.
Comme chaque année, la cité est envahie par des hordes de jeunes blancs habillés en clodo, cheveux africanisés, gueules défoncées par le shit ou la bière, mais aussi par des clébards tenant en laisse quelques punks crades, un kaléidoscope du lumpenprolétariat white trash d’aujourd’hui. Ici, des retraités ventripotents, repus de leurs trente glorieuses, matent les mêmes spectacles subventionnés qu’un groupe de « caillera » qui jettent des bouteilles sur scène ! Et plein de bobos ébahis devant l’art moderne.
La journée se passe. La plupart des spectacles sont insupportables de longueur ; parfois beaux vus de loin, mais souvent vides comme un œuf Kinder fabriqué en Corée du Nord. Le soir,
je tombe sur des danseurs contemporains qui font de la muscu au milieu de barres de fer. « C’est une valse des hauts-fourneaux pour dire la souffrance et la fierté », dira la
presse locale. Admettons ! Pendant un quart d’heure, un vieux cégétiste en uniforme ArcelorMittal s’enroule dans une chaîne avec un collègue asiatique. Le public n’ose pas bâiller. On se
casse.
Plus grave, l’inévitable bourrage de crâne que les gens ne perçoivent sans doute même plus : l’idéologie dominante rôde. J’ai suivi une dizaine de spectacles en deux jours et, presque chaque fois, certaines phrases reviennent avec l’insistance d’une musique de hall d’immeuble. L’immeuble totalitaire mais confortable où nous sommes en résidence surveillée.
Florilège. Chaque mot compte dans ce festival… « transnational »,
selon le site officiel. Il est près de minuit, un bal populaire, bien franchouillard, commence. Le speaker ne peut s’empêcher : « Nous vous proposons un spectacle sans
frontières… »
Je m’en vais et rejoins la place de l’hôtel de ville. Un immense personnage déambule dans le noir, au milieu de fumées et de lumières bizarres. Les acclamations de la foule, plongée dans un abrutissement inquiétant : c’est un immigré géant, actionné par 4 ou 5 personnes. Une voix off plane au-dessus des citoyens : « Je viens d’un pays en guerre. J’ai fui mon pays et je suis arrivé ici. J’erre depuis 30 ans. » Ailleurs, au cours d’un spectacle qualifié d’« anticapitaliste », un des acteurs lance : « Vive l’errance ! » Autre show, dans une rue : « Nous sommes tous frères ! », gueule un grand maigrelet torse poil. Le tout sur fond de tambours africains, de musique tzigane…
Le message doit absolument passer. Capito ?