Dans le cochon, tout est bon… pour créer la polémique. Dès le soir des municipales, Najat Vallaud-Belkacem prévenait que, dans les cantines des villes FN, les enfants seraient obligés de manger du jambon. Une semaine plus tard, Marine Le Pen indiquait qu’aucune « exigence religieuse ne serait acceptée dans les villes FN », affirmant que les menus « avec porc » seraient rétablis. Comme si cet animal symbolisait à lui seul le clivage de la classe politique française.
Pour les mairies du FN, il s’agit de donner un signal fort très vite, en tout cas avant les européennes. La question de la cantine, pour laquelle le maire est décisionnaire, pourrait être ce signal-là… d’autant plus « facile », pourrait-on croire, que le Défenseur des droits, Dominique Baudis, a fait savoir dans un rapport l’an dernier qu’aucun maire ne saurait être tenu de « proposer des menus en fonction de la conviction religieuse ».
Et pourtant. Pourtant, même le FN peine à tenir la ligne et, face à la levée de boucliers, a dû, par la voix de Marine Le Pen et de Florian Philippot, temporiser, expliquer qu’il s’agissait simplement « d’interdire l’interdiction du porc », le choix restant toujours possible, puisqu’il y aurait toujours deux menus. Oubliant sans doute que le coût de cette alternative finit par pousser plus d’une mairie, pour faire des économies d’échelle, à mettre en douce sur pied un menu unique acceptable pour tous… donc sans porc. Au grand dam de l’interprofession porcine qui s’en inquiète ouvertement, et a adressé il y a un an une lettre à tous les maires des communes de plus de 3.000 habitants.
La vérité, pourtant, force à dire qu’aucun enfant de confession musulmane, puisque c’est de cela qu’il s’agit, n’est jamais « obligé » de consommer du porc, pas plus qu’un enfant catholique n’est forcé de prendre de la viande le vendredi : il suffit de laisser au bord de l’assiette – pas idéal, mais tant d’enfants le font avec les épinards qui ne sont pourtant proscrits par aucune religion… -, de donner à son voisin ou, mieux, de dire à l’employé qui sert les plats : « Non merci, aujourd’hui, je ne prendrai que des légumes… », et les plats étant variés et ne comprenant pas du porc tous les jours, aucun écolier ne mourrait bien sûr de ce déjeuner végétarien occasionnel… Mais où donc Najat Vallaud-Belkacem a-t-elle vu que, dans les cantines françaises, les enfants étaient « obligés » de manger quoi que ce soit, gavés de force à l’entonnoir, telles des oies du Sud-Ouest : « Tu vas l’avaler, ce jambon ? »
Plus encore qu’il ne symbolise le clivage de la classe politique, le cochon symbolise l’insondable question qui habite nombre de Français : pourquoi le « vivre ensemble » à l’échelle d’une nation serait-il si différent du « vivre ensemble » à l’échelle d’une maison ? La maison France est accueillante, et ouvre grand sa porte ? Mais il faut alors que les invités, surtout s’ils souhaitent s’installer durablement, jouent le jeu. S’ils trouvent que la table n’est pas bonne, si certaines spécialités locales ne leur conviennent pas, qu’ils n’en disent rien. Qu’en gens bien élevés ils prennent garde, discrètement, à ne pas prendre de ce plat qui les débecte, sans le faire remarquer à la maîtresse de maison. Sans exiger d’elle à grand bruit que, la prochaine fois, elle se débrouille pour faire une tambouille plus consensuelle ou pour proposer un plan B. Comment, sinon, celle-ci ne s’en trouverait pas blessée, vexée, pleine de rancœur ? Comment les Français, pour lesquels le cochon fait partie intégrante de l’alimentation traditionnelle, dont la cantine scolaire est un débouché non négligeable pour la filière porcine, ne se trouveraient pas blessés, vexés, pleins de rancœur ? Et comment imaginer « vivre ensemble » dans la rancœur ?
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