La question, déplacée dira-t-on, revenait ce lundi matin sur les radios dans les questions des auditeurs : s’il n’y avait eu « que » des victimes anonymes et non des stars du crayon, Paris aurait-elle été, comme l’a dit François Hollande, « la capitale du monde » ?
Tout le monde, toute la planète s’est rassemblée – faut-il dire identifiée ? – à Charlie. Pas à Mustapha (le correcteur du journal), pas à Ahmed (le policier achevé sur le trottoir) et pas à Clarissa (la policière venue d’outre-mer). Recevant France 2 dans sa chambre d’hôtel, la mère de cette dernière, effondrée, espérait que le président de la République allait la serrer, elle aussi, dans ses bras, comme Patrice Pelloux. Elle sera repartie avant.
On reproche beaucoup de choses aux journalistes français, et force est de dire que la profession n’était guère aimée ces derniers temps. Parce qu’elle est très souvent partiale, partisane, sectaire, orientée, racoleuse ô combien, infiniment moins libre qu’elle ne le prétend ou même ne le croit ; à l’instar de cette meneuse de revue spéciale sur France Info qui n’a cessé, dimanche, de lancer une perche que la plupart de ses interlocuteurs n’ont toutefois pas voulu saisir. Sur l’air de « On n’a jamais vu ça depuis… », sa référence n’était pas les Français descendant dans la rue pour fêter la Libération le 26 août 1944, mais « Mitterrand défilant après l’odieuse profanation de Carpentras » derrière l’effigie d’un Le Pen empalé – ce qu’elle a oublié de dire – et « le 1er mai 2002 » contre le même Le Pen démocratiquement arrivé second aux présidentielles.
La liberté de la presse… Il n’est pas interdit, d’ailleurs, de se poser la question : Charlie Hebdo est-il représentatif de « la presse » ? Autrement dit, les caricaturistes de presse – puisque ce sont essentiellement eux que le monde pleure – sont-ils « la presse » libre et pluraliste censée nous représenter tous, ou ne sont-ils qu’un fantasme brandi le temps d’une grand-messe compassionnelle ? Qu’importe, au fond, puisque le thème était en effet le plus rassembleur et, là-dessus, les communicants de l’Élysée ne se sont pas trompés.
C’est « la liberté de la presse » qui a permis de regrouper autour du président de la France pas moins de 44 chefs d’État et de gouvernement étrangers. Du beau linge mais pas toujours du beau monde, comme le relevait dimanche Reporters sans frontières dans un communiqué : « Une récupération indigne. » En cause, les représentants d’Égypte, Russie, Turquie, Algérie, Émirats arabes unis, notamment. « Il serait intolérable que des représentants d’États étrangers qui réduisent les journalistes au silence dans leurs pays profitent de l’émotion pour tenter d’améliorer leur image internationale. Il est à craindre que, de retour dans leurs pays, ces manifestants officiels continuent leurs politiques répressives. Nous ne devons pas laisser les prédateurs de la liberté de la presse cracher sur les tombes de Charlie Hebdo », écrit RSF.
Mais est-on sûr qu’à l’échelon local et national, la récupération n’ait pas été tout aussi indigne ? Est-on sûr, comme « la presse » le prétend, que les près de 4 millions de Français qui battaient le pavé ce dimanche communiaient tous à la même table ?
La liberté de la presse contre le terrorisme, oui, mais rarement au-delà de ses propres idées. Et Charlie – faut-il dire saint Charlie ? – n’était pas non plus exempt de ces comportements.
Et parce que rien ne change, enchaînant avec le reportage sur la jeune policière tuée à Montrouge, France 2 déclarait deux minutes plus tard, par la bouche d’Élise Lucet : « La semaine (sic) va être marquée par un événement important : la sortie du nouveau numéro de Charlie Hebdo, tiré à 1 million d’exemplaires et traduit en 16 langues. » Et d’appeler les Français, y compris ceux noyés dans le chômage et la misère, à mettre la main à la poche. Parce que, depuis 8 jours, il n’y a plus que cela qui existe : le sort de Charlie !
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