De l’effondrement des mariages en France à la désespérance d’une certaine jeunesse…
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 88.564 mariages célébrés à l’église en 2008, 44.951 en 2019. Mais il n’y a pas que les catholiques à être frappés par cette lame de fond, à en croire l’entretien accordé par le sociologue Jean Viard à France info : « On va vers une société d’individus qui vivent seuls, on a des vies discontinues, avec une explosion du célibat. »
Notons que cet homme n’est pas exactement le premier venu, ayant consacré plusieurs dizaines d’ouvrages aux évolutions de la société française. Ancien soutien de Ségolène Royal, il a depuis rallié Emmanuel Macron. Et, qu’il s’en félicite ou non, les constats qu’il dresse sont des plus inquiétants.
Ainsi, affirme-t-il, « on est une société de liberté individuelle. C’est vrai pour la vie privée, c’est vrai pour la vie démocratique. On ne va voter que si l’on est intéressé. Et moi, souvent, je compare le taux d’abstention et les bébés au mariage. On va dire que cela n’a rien à voir, mais ça nous dit quelque chose d’une société de l’autonomie de l’individu, qui est donc une société qui s’est déconstruite. » Il est vrai qu’avec 60 % d’enfants naissant hors d’une union consacrée, alors qu’un mariage sur deux explose en plein vol avant cinq ans en Île-de-France, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’institution nuptiale n’a plus rien du rite initiatique d’autrefois. Et que le temps des certitudes, conjugales ou politiques, n’est plus qu’un lointain souvenir.
Certes, il y a l’allongement des études, à cause duquel il est généralement difficile de durablement s’engager avant la trentaine. Mais l’âge moyen des épousailles est encore plus tardif : 37 ans pour les femmes et presque 40 pour les hommes. Dans le même temps, près de la moitié des logements parisiens sont occupés par des célibataires. La société individualiste, donc. Mais quoi de plus seul qu’un simple individu ?
Plus grave encore, nous dit Jean Viard, « 30 % des jeunes filles disent qu’elles ne veulent plus faire d’enfants ». Sans oublier ces « 37 % d’autres jeunes filles diplômées » à envisager la grève du berceau « à cause de la crise climatique ».
Résultat ? « En 2019, en France, 227.000 mariages ont été célébrés, dont 221.000 entre personnes de sexe différent et 6.000 entre personnes de même sexe. Le nombre de mariages de couples de sexe différent baisse en 2019, alors qu’il était relativement stable entre 2013 et 2018 - autour de 230.000 par an. »
À titre de comparaison, il y avait encore 393.686 mariages en France en 1970… Et surtout, que dire de cette éco-anxiété galopante, gagnant sans cesse plus de terrain chez les enfants des CSP+ ? Comme si cette jeunesse n’était plus gouvernée que par la peur : celle du Covid, du changement climatique, du chômage, de la guerre en Ukraine, de Marine Le Pen, de lendemains incertains, et plus encore si affinités. Un état d’esprit morbide qui donne un étrange et prémonitoire écho aux fameux mots du pape Jean-Paul II : « N’ayez pas peur ! »
Contre ce trouillomètre devenu unique boussole, il conviendra peut-être de rappeler que les conditions dans lesquelles les générations nous ayant précédés sont venues au monde n’étaient pas forcément toutes joyeuses, entre deux conflits mondiaux, guerres coloniales et menace soviétique – souvent survendue, mais si efficace que d’autres jeunes en arrivaient à estimer que mieux valait être « rouge que mort »…
À ces jeunes craintifs, qu’il nous soit permis de rappeler ces magnifiques vers de Charles Péguy :
Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Et le meilleur pour la fin :
C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Quoi de mieux, en effet, contre la désespérance qui gagne, que cette petite fille portant le si joli nom d'« espérance » ?
Nicolas Gauthier
Source : http://bvoltaire.fr