Il y avait foule devant le stand « Free Tariq Ramadan »…
Au 35e rassemblement des Musulmans de France (nouveau nom de l’UOIF), il y a foule devant le stand Free Tariq Ramadan. On le vante, on le célèbre, on achète ses livres, on signe sa pétition de soutien, on a besoin de lui ; pas une ombre à son tableau.
Il y aurait aussi certains visiteurs et exposants qui seraient « crispés » mais par rapport à l’enthousiasme suscité par ce prédicateur religieux absent pour cause de Justice, ces réserves pèsent peu. Pour le président des Musulmans de France, « sa pensée reste intacte ».
Je trouve cela lamentable mais je ne me moque pas. Ce n’est pas le respect de la présomption d’innocence qui mobilise tous ses admirateurs. C’est le fait que contre vents, marées et procédures, Tariq Ramadan est inatteignable, demeure une sorte de mythe qui résiste à tout.
Ce qui fait réfléchir sur la psychologie humaine est que l’on pourrait généraliser sans forcer le trait cette adhésion inaltérable à l’égard de personnalités malgré les soupçons, insinuations, accusations, dénonciations, plaintes, mises en examen ou renvois qui ont pu les concerner ou les menacer. Il y a une inconditionnalité en gros qui ne supporte pas la lucidité au détail.
Je connais des gens dont l’intelligence est vive mais qui, campés dans une position proche de l’idolâtrie, s’arc-boutent sur celle-ci et jugeraient alors indécente la moindre critique. Ils se sentiraient mal si, dans le bloc qu’ils ont créé et qui les rassure, la moindre fissure de doute venait à se glisser.
Les exemples sont nombreux qui, avant Tariq Ramadan, et notamment sur le plan politique, révèlent comme le besoin de croire, l’envie d’aimer et le désir d’immobilité éperdue ont dominé toutes les informations susceptibles de les battre en brèche. Qu’on remonte à Jacques Mellick ou qu’on s’attache à Nicolas Sarkozy, en passant par tant d’autres, aussi paradoxal que cela puisse apparaître, la moralité publique questionnée ou contestée n’a jamais eu la moindre incidence sur l’appréhension forcément positive de celui qu’on a décidé de porter aux nues quoi qu’il lui arrive. Combien de fois ai-je entendu, notamment au sujet de Patrick Balkany, le propos suivant : « Oui, mais c’est un bon maire ! » Autrement dit, l’éthique est secondaire, périphérique, n’efface pas l’essentiel qui serait l’action.
On trouve tant de justifications prétendument honorables pour continuer à se lover confortablement dans son opinion qui, si elle n’était pas implacablement, voluptueusement fixe, déstabiliserait celui qui y tient plus que tout. Pour Tariq Ramadan et ceux qui, comme lui, sont passés d’une lumière éclatante à une ombre équivoque, il est si commode d’invoquer l’acharnement, la thèse du complot, la mauvaise foi des impies, la partialité des médias, l’évidente moralité dont on serait l’incarnation, l’impossibilité d’avoir pu commettre ce qui vous est reproché ou les mensonges des accusateurs. Tout est exploitable dès lors que le principal est sauf : il est inconcevable que cette personnalité s’échappe de mon estime, de mon admiration comme un vulgaire malfaiteur.
Il faut avoir quitté le monde du pouvoir sous toutes ses formes pour qu’avec une tendresse souriante et un peu cynique, le citoyen admette enfin qu’il n’avait pas eu affaire à un saint républicain mais à un homme auquel la pureté glaçante de l’éthique et de l’exemplarité était demeurée à peu près étrangère. Je songe ainsi à Jacques Chirac, aimé mais dorénavant sans illusion. La connaissance, le dévoilement, une fois la comédie finie, ont alors le droit d’exister.
Le succès d’un Tariq Ramadan d’autant plus porté aux nues qu’on lui prête l’auréole d’un martyr musulman me choque, mais c’est comme cela. Ce n’est pas demain qu’on tirera les conséquences de ce qu’on apprend. Les leçons ne servent à rien puisqu’on ne les écoute pas.
On préfère se bercer d’illusions plutôt que s’indigner des malfaisances réelles ou plausibles de ses « élus ». Se mentir pour être bien plutôt qu’être mal en ouvrant les yeux et l’esprit.
Philippe Bilger
Source : http://bvoltaire.fr