La dédiabolisation : une erreur stratégique
Depuis plus de 15 ans, le Front National - puis le Rassemblement National - a entrepris une stratégie de « dédiabolisation » visant à rompre avec l’image prétendument sulfureuse héritée de Jean-Marie Le Pen. Toutefois, cette démarche soulève une contradiction fondamentale : ce ne sont pas les positions affichées par le RN qui expliquent sa diabolisation, mais la dynamique politique intrinsèque à ses adversaires. La gauche et une partie de la fausse droite ont construit leur légitimité sur l’opposition au RN, assimilé à une menace morale pour la démocratie. Peu importe les efforts consentis par le parti de Marine Le Pen, il sera toujours confronté à des accusations de racisme, d’extrémisme ou d’antirépublicanisme, car son rôle d’ennemi utile est trop structurant pour ses concurrents. Ainsi, cette quête de respectabilité est vouée à l’échec, car elle repose sur l’idée erronée que l’hostilité politique pourrait être désamorcée par des concessions symboliques ou programmatiques.
Cette erreur stratégique est d’autant plus frappante que les idées portées par le RN ne sont en rien intrinsèquement « diaboliques ». L’insistance sur la souveraineté nationale, la critique de l’immigration incontrôlée ou encore la défense de l’identité culturelle sont des thèmes débattus dans de nombreuses démocraties, où ils ne suscitent pas nécessairement une stigmatisation comparable. La rhétorique du RN flatte parfois des réflexes populistes, mais ces thématiques répondent à des angoisses sociales et identitaires réelles, partagées bien au-delà de son électorat. La diabolisation de ces idées relève davantage d’un stratagème politique que d’une condamnation morale sincère. En cherchant à se distancier de ce corpus idéologique, le RN court le risque de trahir sa base militante et d’apparaître incohérent aux yeux de ceux qui l’ont soutenu précisément pour son discours disruptif.
Enfin, cette stratégie intervient à contre-courant des évolutions sociologiques et électorales. Tandis que l’opinion publique tend à se droitiser, notamment sur les questions d’immigration, d’autorité et de sécurité, le RN semble s’engager dans un processus de recentrage, voire de gauchisation. La promotion d’un discours plus social, axé sur le pouvoir d’achat et les droits des travailleurs, pourrait séduire certains électeurs modérés mais aliène une partie de sa base naturelle, attirée par une ligne plus dure. Paradoxalement, cette modération laisse un vide à droite, qu'un véritable mouvement de droite nationale pourrait occuper. En tentant de rassurer des élites politiques et médiatiques qui lui resteront hostiles, le RN pourrait perdre ce qui faisait sa force : sa capacité à incarner une alternative radicale dans un paysage politique perçu comme verrouillé.
En somme, la dédiabolisation du RN apparaît moins comme une adaptation aux réalités électorales que comme une concession à une dynamique hostile dont il ne maîtrise ni les termes ni les effets. Cette erreur stratégique pourrait bien compromettre son ambition d'accéder prochainement au pouvoir.
Thomas Joly - Président du Parti de la France