Lucien Neuwirth : pour le bonheur des hommes ? (par Gabrielle Cluzel)
Depuis mardi, date du décès de Lucien Neuwirth, alias
Le père la pilule, ou Lulu la pilule pour les intimes, on se bouscule, à droite comme à gauche, pour rendre hommage à ce grand gaulliste qui avait réussi, en 1967, à faire
adopter contre la majorité de son camp, la loi autorisant la contraception. François Hollande a salué, notamment, « un acteur déterminant de l’évolution de la société
française ».
Il est vrai qu’avant Lucien Neuwirth, il n’y avait peu ou prou qu’une seule méthode, celle évoquée par Woody Allen : « Un petit mot sur la contraception orale… J’ai demandé à une fille de coucher avec moi et elle a dit non. »
Avec Lucien, tout a changé. Pour les laboratoires d’abord. Auxquels il a ouvert de formidables horizons insoupçonnés : le marché des gens bien portants. Pour la
première fois, un médicament allait « soigner » un phénomène purement physiologique, une disposition naturelle et normale. Le champ des possibles, n’est-ce pas, devient dès
lors infini ? Eux qui cantonnaient bêtement leurs recherches aux mal-foutus, aux souffreteux, aux accidentés. Mais si l’on peut bricoler aussi les mécaniques qui fonctionnent, alors…
Tout a changé pour les femmes aussi. Pour en finir avec la « peur de l’enfant », elles peuvent désormais « traiter » leur fécondité. Comme un diabète, un
asthme chronique. Avec quelques petites contraintes, c’est le lot de toutes les affections au long cours. Selon l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) :
« La prise de la pilule pendant la durée de la vie féconde représente la gestion au quotidien de plus de 8.000 comprimés. » Avec la dose d’hormones de synthèse en proportion.
Amis du « bio » et de la nature, bonsoir.
Et c’est là, dit-on, que depuis quelques années le bât blesse. Ce que l’on refuse pour le poulet dominical qui trône dans l’assiette, pourquoi se l’infligerait-on ? Le magazine
Marie-Claire s’interrogeait déjà en mars 2011, avant même les scandales des pilules de 3e et 4e génération : « Air du temps oblige, des femmes veulent retrouver leur
cycle “naturel”. Une sainte alliance écolo-catho est-elle en train de se nouer ? »
Et ce n’est pas tout. Les femmes, ces ingrates, n’étant jamais contentes, certaines soupçonnent Lulu la pilule — ainsi surnommé dès l’âge de 17 ans pour avoir découvert à Londres un contraceptif venu d’Amérique, la Gynomine, qu’il a ensuite généreusement distribué aux copains — d’avoir surtout fait le bonheur… des hommes.
Déresponsabilisés (la gestion de la fécondité maîtrisée n’étant pas de leur
ressort), déculpabilisés, tranquillisés, installés dans une relation libre-service pour laquelle tous les jours sont désormais ouvrés… tandis que leurs partenaires, comme le montre une étude
publiée en 2010 par des chercheurs de l’université allemande de Heidelberg, verraient leur libido perturbée par la pilule de Lulu.
Bref, la pilule serait à la pharmacologie ce que Jeanne Moreau est au cinéma : un séduisant symbole de libération sexuelle en phase de grand déclin. Lucien Neuwirth, en somme, a tiré sa révérence juste à temps. Pour ne pas voir ça.
Commenter cet article