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Le blog politique de Thomas JOLY

Les convertis ou l’intégration à rebours

2 Avril 2012, 15:44pm

Publié par Thomas Joly

Texte extrait de « Petit frère » (roman) d'Éric Zemmour, Denoel éd., 2008, pp 220 à 223

 

prosternationKevin Boucher voulait « faire ramadan ».

 

Il l’avait annoncé à ses parents sur le ton impérieux d’un enfant-roi de dix ans. Kevin Boucher avait la peau rose de son père et les yeux bleus de sa mère. Kevin Boucher en avait assez d’être traité de « cochon de Français ». De halouf. Kevin Boucher en avait assez d’être « traité ». Il souhaitait, dans les toilettes, boire au robinet des « musulmans » et ne plus être relégué à celui honni des « Français ». Il désirait être comme les autres enfants de sa classe, avoir la peau mate, les yeux noirs, les cheveux frisés, dire des « gros mots » en arabe, vomir « kerbah » au passage de la maîtresse, quand elle portait une jupe au-dessus du genou, oser un « je vais te baiser et après je t’enculerai », claquer un « rataï », comme un coup de fouet, quand un de ses copains employait un mot un peu usité, refuser avec véhémence d’étudier la leçon d’histoire consacrée aux croisades, surveiller ses sœurs, même quand elles étaient plus grandes que soi, les rabrouer, leur dire des horreurs, « lopesa, taspé », dés qu’elles parlaient à un garçon, les dénoncer aux parents, se précipiter dans les bras d’une maman voilée de la tête aux pieds, symbole de la « pureté », et ne pas prendre des claques comme les autres enfants qui osaient manger du porc à la cantine.

 

Ribéry drapeau algérien« Faire ramadan ». Contrairement à ce que croyait ingénument sa mère, il n’ignorait point que ce fût difficile. Il est interdit de manger et de boire, et même d’avaler sa salive, du lever du soleil au coucher. Toute relation sexuelle est rigoureusement proscrite. Kevin Boucher n’avait jamais eu de relation sexuelle, mais il connaissait les règles. Il savait aussi que le ramadan durait un mois entier. Un mois, c’est long. Épuisant. Très vite, il renoncerait au cours de gymnastique. Maman trouverait un médecin complaisant qui lui délivrerait un certificat de complaisance. Avec les autres, il surveillerait les élèves musulmans qui oseraient rompre le jeûne. Les représailles seraient sanglantes. A l’heure du déjeuner, il dormirait dans une salle de permanence. Oublierait parfois de retrouver la classe. La maîtresse comprendrait. Pardonnerait. Compatirait. Le soir, il se précipiterait sur les dizaines de plats aux couleurs chatoyantes et aux saveurs épicées. La chorba, le hariba, d’avance il s’en léchait les babines ; quand on a jeûné une longue journée, on a envie de tout, on trouve tout succulent ! Maman ne connaissait que le couscous. Maman n’a jamais jeûné. Papa non plus. Dans la religion catholique, cela n’existait pas ou c’était il y a longtemps. On avait oublié. C’était dommage, se disait Kevin. Toute la nuit, il se goinfrerait et boirait du Coca-cola. Au petit matin, il se traînerait à l’école. Il ne serait pas très attentif en classe, mais la maîtresse comprendrait, pardonnerait, compatirait. Sinon, avec l’aide des copains, on la traiterait de karbah, on se plaindrait qu’elle « insulte l’islam ». On la menacerait. On cracherait par terre pour ne pas avaler sa salive. Ce serait bien.

 

Voile-enfant-blanc.jpgAprès le ramadan, ce ne serait pas fini. Kevin Boucher avait remarqué que, chaque vendredi, les « grands » troquaient désormais leurs pantalons de jogging amples et leurs baggys bouffants pour une somptueuse robe blanche, et, posée sur la tête, une petite calotte tricotée du meilleur effet. Même Yazid Chadli, longtemps réfractaire, suivait désormais la mode de l’immeuble. Il priait à la mosquée de la rue de Tanger. L’autre vendredi, il s’y était rendu avec les frères Mokhtari. Ils avaient tous trois le livre sacré du coran dans la poche de leur robe immaculée. Leurs visages irradiaient d’une joie simple, celle d’une foi sincère. Kevin les enviait. Pourtant, Yazid buvait souvent de la bière, fumait quelque joints, même pendant le ramadan ; et Kevin l’avait aperçu, main dans la main, avec une petite brunette aux gros nichons qu’il pelotait sans vergogne. Kevin était plein de mansuétude pour Yazid. C’est difficile, quand on a été un mécréant, de revenir sur la voie de l’islam. Mais Kevin avait confiance : Yazid deviendrait un bon musulman : Allah l’aiderait. Allah était bon, Kevin en était convaincu ; et il se touchait le cœur du bout des doigts et les portait à ses lèvres pour les baiser. Il disait à sa mère : « Allah est grand, et il n’y a de dieu que Dieu ». Kevin avait commencé en secret son apprentissage. Il lisait le Coran en français tous les jours, et apprenait des mots d’arabe. Il ne l’avait pas encore révélé à ses parents ; ils ne comprendraient pas. Il projetait de se faire circoncire à treize ans. Ou même avant. Il jugeait ridicule et encombrant ce petit bout de chair superflu. Parfois, il avait peur de faire de la peine à sa maman. Mais Kevin Boucher souffrait trop d’être différent. Il voulait être comme les autres. Il voulait en être. En être.

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