Le capitalisme nous préfère seuls, tout seuls… (par Altana Otovic)
Un homme est mort. James McConnell, ancien de la Marine royale britannique, avait 70 ans. On ne lui connaissait pas l’ombre d’une famille, pas un ami encore vif pour accompagner sa dépouille, si bien que les membres du personnel de la maison de retraite craignaient d’être seuls à ses funérailles.
Le révérend Bob Mason a alors lancé un appel sur Facebook : « Il est assez tragique que quelqu’un doive quitter ce monde sans que personne ne soit là pour le pleurer. Je suis sûr que vous serez d’accord avec moi pour dire qu’il mérite de meilleurs adieux. » Prenant soin de contacter l’Association des Royal Marines, il a réuni 200 personnes au cimetière de Portsmouth pour une procession qui vit défiler motards et porte-drapeaux de la Légion Britannique, sous les tons solennels des clairons des Royal Marines.
Comme il est beau de voir parfois triompher l’éclat noble et gracieux de la bonté humaine ! S’il est vrai que notre triste condition nous amène chaque jour à côtoyer la fange, il est des histoires qui allument les feux éteints et parviennent à rappeler aux cœurs ébahis la grandeur des hommes.
Mais après s’être émus de ce modeste et beau miracle, il convient de recouvrer lucidité : dans quel monde vivons-nous pour qu’un homme, qui aurait du mourir entouré des siens, périsse dans un sinistre mouroir entouré d’infirmières, sans nulle âme pour accompagner sa dépouille ?
Oh, Mère ! Oh, Père ! Jamais je ne vous laisserai ainsi crever ! Jamais je ne laisserai des murs pâles et morbides séquestrer vos corps fragiles ! Jamais je ne laisserai les néons froids border vos terribles nuits !
Voyez comme notre société a déchiqueté la famille et éparpillé ses membres ! Voyez comme elle a détruit le refuge trop affable des clans qui rassurent et protègent ! Voyez comme elle a, dans le furieux tumulte des villes surpeuplées, semé la solitude et le sombre isolement !
Le capitalisme vous préfère seuls ! Il chérit sans réserve le libre citoyen qu’il peut livrer au consumérisme le plus malsain. Il vénère le quidam nerveux et frustré dont il exploite le vide pour qu’il remplisse son chariot. Il affectionne de toute son âme rabougrie les divorces qui abondent : deux maisons, deux téléviseurs, deux voitures.
« Vous êtes libres ! », vous martèle-t-on. « Abandonnés », oublie-t-on de vous dire.
Commenter cet article