L'instinct (par Philippe Régniez)
A la lecture des réponses de l'intéressé, on se dit que certains déserteurs des grandes guerres avaient certainement plus de courage que lui. Plaisanterie mise à part, et en vérité les qualités humaines de la victime importent peu, il demeure le point important de l'affaire, celui sur lequel tant de choses reposent encore, et qu'il va bien falloir par éradiquer : l'instinct.
Effectivement, contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'instinct semble être la cause de cette malheureuse histoire, qui, à la vérité ne méritait pas qu'on en parle. Ne sont pas en cause la haine de l'homme blanc et de sa civilisation, la violence, le vol, l'usage du nombre pour imposer une loi, la banalité de telles agressions, non, si l'on regarde bien les paroles de la victime, le véritable problème et le coupable est l'instinct : « Pendant que l'un me demande une cigarette, l'autre me fait les poches. Lorsque je me retourne, je vois l'un d'eux qui manipule mon portefeuille. À l'instinct, je tente de le récupérer. C'est alors qu'a commencé l'affrontement... »
Notons que dans le texte l'agression devient « un affrontement », la future élite de la nation que semble être ce jeune homme devrait réviser ses registres sémantiques.
Eh oui, tout va bien, des jeunes sympas, d'ailleurs à la peau pas si foncée que cela, veulent me prendre un peu d'argent pour aller s'amuser. S'ils se servent dans mes poches, c'est parce qu'ils sont timides, ils n'osent pas demander ce que je leur aurais donné de bonne grâce.
Mais, intervient le problème qu'il va falloir scientifiquement supprimer : l'instinct - on me prend ce qui est à moi et « à l'instinct, je tente de le récupérer » ; on viole ma mère et ma sœur devant mes yeux, et « à l'instinct, je réagis et j'abats les criminels » ; on entre dans ma boulangerie la nuit, et « à l'instinct, car c'est la douzième fois que cela m'arrive et que la police ne fait rien, je descends avec ma carabine et je tire à vue ».
Il semble bien qu'après le métissage forcé, l'abolition de l'instinct va devenir le deuxième grand chantier du gouvernement de Nabochodonosor. Surtout plus d'instinct, plus de rébellion, tout est cool, c'est pour votre bien, laissez-vous plumer, sodomiser, égorger, c'est le sens de l'histoire, et puis votre société et votre civilisation sont responsables de tant de carnages sur la terre, n'est-ce pas là une rétribution... méritée.
Oui, retournons dans les bois, soyons proches de la nature et de l'homme primitif « notre ancêtre à tous », un homme sage et démuni de tous péchés, marchons à quatre pattes et, grâce à « l'instinct » trouvons notre nourriture et reproduisons-nous. Attendez, il y a quelque chose qui ne colle pas là !
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