La révolte paysanne s’étend : Europe enracinée contre UE hors-sol
Ce jeudi 1er février se tient à Bruxelles un Conseil européen extraordinaire. Au calendrier, notamment, un entretien entre Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen. Il y sera question des agriculteurs français et des accords de libre-échange. Le symbole est assez désastreux : pour accéder aux demandes d'agriculteurs français, le Président - que l'on croyait souverain - doit consulter l'échelon supérieur : européen. On croirait, au choix, un chef de services venant plaider pour une revalorisation salariale de ses salariés auprès du patron, un vassal demandant audience au suzerain pour demander une diminution de la taille servie par ses gueux.
La gronde monte
Mais la gronde n’est pas que française, loin de là. Allemagne, Pays-Bas, Pologne, Hongrie, Roumanie, Grèce et même, à présent, Espagne et Italie : la fronde monte un peu partout. Même s'ils peuvent souffrir les uns des autres, car la concurrence déloyale est aussi intra-européenne - la tomate espagnole tue la tomate française -, ils souffrent ensemble, écrasés par le même ennemi : l’Union européenne, attelage d’épiciers né des intérêts économiques de l’acier et du charbon - y a-t-il pierre fondatrice plus prosaïque et moins transcendante ? - devenu patchwork de bric et de broc aux contours flous, fluctuants, en perpétuel mouvement, et toujours plus lointains, comme des wagons que l’on raccroche sans penser à se demander si le moteur de la locomotive suffira à les porter. Neuf pays sont aujourd'hui reconnus comme officiellement sur le pas de la porte : Turquie, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie, Albanie, Ukraine, Moldavie, Géorgie et, depuis le 15 décembre 2023, Bosnie-Herzégovine. Si tout est Europe, rien n’est Europe. Elle n’a pas voulu inscrire ses racines (chrétiennes) dans sa Constitution, comme pour démontrer à quel point elle était hors-sol. Ce sont ses racines, au sens propre comme au figuré, qui viennent aujourd'hui se rappeler à elle. Cette Europe que l’Union européenne a échoué à construire se bâtit non pas grâce à elle mais contre elle, dans une cohésion négative : la révolte d’une paysannerie ancestrale, celle de la terre et des morts, comme disait Barrès, de la mer et des vivants, comme enchérissait Claudel, qui laboure et domestique - c’est le premier geste de civilisation - un humus commun et entend transmettre à ses enfants l’héritage qu’elle a reçu. Elle ne veut pas être le dernier maillon. Sur le barrage de Buchelay, où BV s’est rendu, la plupart des agriculteurs viennent de terroirs où leurs familles sont là depuis trois, quatre, cinq générations et, pour certains, beaucoup plus encore (depuis, au moins, que les registres baptismaux existent, parce qu’ils constituent le premier état civil dans notre pays, et sans doute bien avant).
Les paysans allemands opposent, sur les pancartes de leurs manifestation, leurs tracteurs diesel à la Tesla électrique, les paysans français pourraient en faire autant : c’est bien sur l’autel du lithium nécessaire aux batteries que l’agriculture a été sacrifiée au moment de la signature du traité de libre-échange avec le Chili. Une convergence des luttes, comme on dit à gauche.
Technotables
La petite élite européisme forcenée et déconnectée qui gravite autour de Bruxelles, loin des « bouseux », n’a visiblement tiré aucune leçon de l’Histoire. Une des causes de la Révolution française a été la distance mise par Louis XIV entre l’aristocratie et la paysannerie : pour la tenir à l'œil, licou serré - car échaudé par la Fronde -, il a attiré la première à la cour, l’éloignant, ce faisant, des préoccupations de la deuxième (famine, météo, impôts…). Si la Vendée militaire a su unir les deux dans le même combat pour la monarchie, explique Tocqueville, c’est parce que les hobereaux locaux avaient boudé Versailles au grand dam du roi qui « se [plaignait] de ce que les gentilshommes de sa province se plaisent à rester avec leurs paysans, au lieu de remplir leurs devoirs auprès du roi » : « Ils n’ont dû cette glorieuse distinction qu’à ce qu’ils avaient su retenir autour d’eux ces paysans, parmi lesquels on leur reprochait d’aimer à vivre » (L’Ancien Régime et la Révolution, 1856).
Peu de chances que nos technotables arrivent à convaincre le moindre paysan de se sacrifier pour sauver la reine Ursula.
Gabrielle Cluzel
Source : http://bvoltaire.fr
Commenter cet article