Répartir les migrants dans les campagnes : l’exécutif publie un mode d’emploi
C’est ce qu’on appelle avoir le sens du timing. Alors que l’Europe a les yeux rivés sur l’île de Lampedusa, où plus de 10.000 migrants ont débarqué cette semaine, l’exécutif français, et plus précisément la Direction interministérielle à l’accueil et l’intégration des réfugiés (DIAIR), vient de publier un petit guide pour « accueillir et intégrer les personnes réfugiées en milieu rural ». Ce manuel doit permettre de « faciliter l’installation » des réfugiés dans les communes rurales et d'« assurer la réussite d’un tel projet ». Un projet politique annoncé par Emmanuel Macron, il y a un an, et dont de nombreuses communes rurales ont déjà fait les frais.
De faux arguments
« L’installation de personnes réfugiées dans les communes rurales peut être une opportunité tant pour les territoires et leurs habitants que pour les personnes réfugiées. » Dès les premières lignes de ce guide, le ton est donné : l’accueil des migrants n’est pas un risque ni un défi ou un danger, mais une « opportunité ». Opportunité sur le plan économique, plaide tout d’abord l’exécutif. Dans ce mode d’emploi, on apprend ainsi que l’installation de migrants permettrait de « dynamiser l’économie locale du monde rural ». « Faux », dénoncent des habitants de Beyssenac, village de Corrèze contraint d’accueillir une vingtaine de demandeurs d’asile depuis le début de l’été. « On ne les voit jamais sur les marchés du coin pour acheter des produits locaux, nous explique l’un d’eux. Ils vont faire leurs courses au supermarché, mais ça ne fait pas vivre notre village et nos producteurs. » « À la rigueur, si ce sont des familles que l’on accueille, ça peut maintenir une classe ouverte, mais c’est tout », concède un habitant du village. Même constat à Bélâbre, dans l’Indre, où la mairie prévoit d’installer un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). « C’est une commune rurale, il n’y a aucun boulot ici », nous confiait ainsi un opposant au projet berrichon, en février dernier. « S’ils veulent travailler, ils vont s’installer dans une ville, donc l’argument économique est un faux argument », abonde un autre opposant. Il suffit de regarder ce qui se passe ailleurs pour s'en rendre compte. À Peyrat-le-Château, dans le Limousin, où un centre d’hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile a été ouvert en 2014, « la majorité des personnes hébergées » ne s'installe pas durablement mais « rejoint finalement une grande ville, faute d’équipements suffisants », note la rédaction de France 3.
La DIAIR promet, par ailleurs, une revitalisation sociale. Mais à Beyssenac, de nombreux habitants peinent toujours à voir l’impact positif de l’accueil des demandeurs d’asile dans leur village. « Pour le moment, on a des femmes. Ça se passe relativement bien, malgré quelques méfaits. Mais dans six mois, on ne sait pas ce qu’on aura. Et quand on voit ce qui se passe à Lampedusa, on craint pour notre sécurité », nous confie l’un des opposants au CADA. Beaucoup de ces ruraux qui aiment et profitent de leur tranquillité craignent en effet de voir s’abattre sur eux le fléau de l’insécurité venu des grandes villes.
Éviter un nouveau Callac
Ainsi, si, sur le papier, l’initiative de réinstaller des migrants dans les campagnes semble excellente, dans les faits, la situation est bien plus complexe. Elle crée même un profond sentiment d’injustice dans ces territoires longtemps abandonnés par les gouvernements successifs. « On ne s’est jamais occupé de nous. Mais là, les migrants ont le droit à un accès prioritaires pour les soins, ils sont véhiculés pour leur trajets… Nous, nous n’avons pas les mêmes avantages », se désole un habitant de Beyssenac.
Ce guide a surtout vocation à éviter un nouveau Callac, ce village des Côtes-d’Armor devenu un symbole de la résistance contre l’arrivée des migrants en zone rurale. Grâce à une forte mobilisation citoyenne, la mairie avait fini par renoncer au projet d’accueillir des migrants porté par le fonds de dotation MERCI. Pour prévenir de nouveaux échecs, le mode d’emploi de la DIAIR préconise d’informer les habitants (cela semble la moindre des choses), de « valoriser les avantages » (quitte à minimiser les défis) et de faire appel à des « grands témoins », c’est-à-dire des militants de la cause des migrants (donc peu objectifs).
Si le projet de répartition des migrants en zone rurale n’est pas nouveau, il semblerait qu’Emmanuel Macron souhaite lui donner un coup d’accélérateur. Mais les campagnes, abandonnées des services publics, enclavées et désertées, doivent sans doute faire face à des défis plus prioritaires que l'accueil de migrants.
Clémence de Longraye
Source : http://bvoltaire.fr
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