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Le blog politique de Thomas JOLY

Des casserolades aux barricades ?

3 Mai 2023, 17:30pm

Publié par Thomas Joly

Je ne sais qui a dit de l’opinion publique que c’est un sphinx à tête d’âne. Expression fabuleuse, accessoirement un des plus beaux oxymores de la langue française. Celui qui parvient à en déchiffrer l’énigme est le maître de l’opinion. Vox populi, vox dei. Malheur à qui n’y parvient pas. Si la popularité est le juge de paix des démocraties, l’impopularité en est le bourreau sans pitié. Macron en fait les frais, comme l’un de ses lointains prédécesseurs – ni VGE ni Kennedy, mais Louis-Philippe, fourrier de la haute banque.

Le moindre de ses déplacements en province se transforme en séances de mortification publiques. Pas un bain de foule qui ne donne lieu à un camouflet, pas un camouflet qui ne tourne en boucle sur les réseaux sociaux comme d’enivrants rappels au théâtre. Les gens en redemandent. Bis repetita. Les mêmes scènes, partout, Guignol humiliant à tous les coups le gendarme Flageolet. Il y en avait pourtant 12.000, le 1er mai, pour encadrer les cortèges.

Le pouvoir est apeuré, comme au plus fort du mouvement des gilets jaunes, quand Macron devait fuir Le Puy-en-Velay, poursuivi par la foule, ou qu’un hélico se tenait prêt à décoller dans le jardin de l’Élysée. Aujourd’hui, Macron ne se déplace plus sans un impressionnant dispositif de sécurité, son groupe électrogène, ses drones et sa majesté outragée. Il n’a pas encore abdiqué, mais on dirait déjà un roi en exil. Il ne risque pourtant que des huées et des sifflets. Pas d’attentat du Petit-Clamart en vue, comme de Gaulle en 1962. Ce qui ne l’empêche pas de détourner à son profit la loi antiterroriste de 2017 instaurant un « périmètre de sécurité ».

La casserole, ennemi public numéro 1

Les préfets en sont réduits à traquer les casseroles, les forces de l’ordre à les confisquer, le gouvernement à les collectionner. À quand, un plan Vigipirate anti-casseroles ? Bientôt, le gouvernement fera interdire les rouleaux à pâtisserie, comme il a voulu bannir les sifflets et les cartons rouges, le jour de la finale de la Coupe de France.

Lorsqu’un pouvoir transforme les casserolades en « dispositifs sonores portatifs » ou « amplificateurs de bruits », c’est qu’il a peur de tout, sauf du ridicule. Aux dernières nouvelles, le premier « dispositif sonore portatif », c’est la parole, que la novlangue administrative a placé au faîte de la bêtise d’État. Ces périphrases jargonneuses rappellent les riches heures de Najat Vallaud-Belkacem à la tête de l’Éducation nationale avec ces piscines soudainement transformées en « milieux aquatiques profonds standardisés » et ces ballons de foot dûment déconstruits par le pédagogisme et redéfinis comme « référentiels rebondissants », chef-d’œuvre lexicographique.

À ce rythme, les arrêtés préfectoraux vont bientôt détrôner en fantaisie certains arrêtés municipaux, l’un des derniers domaines politiques où le registre saugrenu n’est pas bridé. Qui ne se souvient de l’interdiction de « lancer de nain » dans l’Essonne ? Ou de l’interdiction faite aux éléphants d’accéder aux plages normandes de Granville ? Ou de l’arrêté de 1954, toujours en vigueur, chef-d’œuvre de l’imagination municipale, publié par le maire de Châteauneuf-du-Pape, dans le Vaucluse, interdisant sur tout le territoire de la commune le survol de soucoupes volantes ?

La casserole est un ustensile plus commun que les OVNI. C’est même, avec la fourche, une des pièces centrales du répertoire de la révolte populaire. La fourche est tragique, la casserole tragi-comique. Elle marque le souverain mépris pour le souverain déchu, qui n’est plus qu’un monarque de carnaval, objet de la dérision publique. La dérision est une arme de corrosion massive, le pouvoir de la dérision soulignant comme nul autre la dérision du pouvoir. Quelle réponse lui apporter ? Aucune. Qui se risquerait à envoyer Ubu roi devant un tribunal, sauf à encourir le risque de devenir à son tour ubuesque ?

Des casserolades aux barricades

Cela nous ramène à la monarchie de Juillet, Louis-Philippe, sa gidouille ubuesque et ses traits caricaturés en forme de poire. Les points communs entre les deux régimes sont fascinants. Même crise économique, même inflation galopante, même confiscation de la démocratie, même casserolisation des ministres Thiers et Guizot poursuivis par la foule. Le règne de Macron a commencé comme celui de Louis-Philippe d’Orléans avec la révolution de Juillet. Son livre Révolution (2016) a d’ailleurs redonné des couleurs à l’orléanisme. Qui sait s’il ne finira pas comme le « roi des Français » en 1848, chassé du pouvoir après une manifestation qui a dégénéré ?

Mais plutôt qu’à Louis-Philippe, c’est au banquier Jacques Laffitte (1767-1844) qu’il fait penser. Surnommé « Jacques la Faillite », à la tête du deuxième ministère de Louis-Philippe, il était le chef du « parti du Mouvement », autant dire un « marcheur » avant l’heure ! Dans Les Luttes des classes en France (1850), Marx rappelle que c’est lui qui a conduit à l’hôtel de ville le futur Louis-Philippe, après les Trois Glorieuses, les journées révolutionnaires de juillet 1830. Et Lafitte de chuchoter à l’oreille du roi : « Désormais, ce sera le règne des banquiers. » Du Macron dans le texte, lui qui fut inspecteur des finances, associé-gérant chez Rothschild, ministre de l"Economie. Louis-Philippe avait fait interdire les banquets républicains ; Macron se contente des casseroles. Mais il n’y a pas loin des uns aux autres, comme il n’y a pas loin des casserolades aux barricades – et des guignolades aux dégringolades.

François Bousquet

Source : http://bvoltaire.fr

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