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Le blog politique de Thomas JOLY

César : pourquoi autant de récompenses pour « La Nuit du 12 » ?

2 Mars 2023, 14:58pm

Publié par Thomas Joly

Six César, dont celui du Meilleur film et de la Meilleure réalisation. Telles furent les récompenses du dernier long-métrage de Dominik Moll, La Nuit du 12, lors de la 48e cérémonie qui s’est tenue à l’Olympia de Paris, le 24 février dernier. Un triomphe qui n’est pas totalement étranger aux discours idéologiques de ce thriller…

Librement inspiré d’un chapitre d’une trentaine de pages du livre de Pauline Guéna 18.3 – Une année à la PJ, publié chez Gallimard, La Nuit du 12 raconte l’affaire non résolue du meurtre d’une jeune femme brûlée vive en pleine rue tandis qu’elle rentrait chez elle après avoir passé la soirée chez une amie. Fictif, le récit suit deux policiers chargés de l’enquête : Yohan, chef de groupe trentenaire, taiseux et placide, et Marceau, vieux briscard rigolard et à fleur de peau en cours de divorce. Profondément ébranlés par l’affaire, estomaqués par les témoignages plus ou moins désinvoltes/déplacés recueillis auprès des fréquentations masculines de la victime, les deux collègues prennent conscience que chacun des suspects aurait pu commettre le crime…

Très bien construit, dense, comme souvent avec Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming, Seules les bêtes), le récit annonce d’emblée la couleur en intertitre d’ouverture : l’enquête dont il sera question n’aboutira jamais, marquant pour toujours les policiers chargés de sa résolution.

« Le livre, affirmait le réalisateur en interview, disait que chaque enquêteur tombe un jour sur un crime qui fait plus mal que les autres, que pour une raison mystérieuse, il se plante en lui comme une écharde, et que la plaie n’en finit pas de s’infecter. »

Focalisant sur ses personnages et sur leurs failles individuelles, le film de Dominik Moll se veut une enquête à échelle humaine qui jamais ne fait l’impasse sur les imperfections du système (manque de moyens, matériel défectueux, etc.). Et Marceau de résumer, lors de ses divagations en voiture : « C’est le combat du bien contre le mal mais avec une photocopieuse qui ne marche pas »...

Toujours est-il que la clé de voute idéologique du film, qui explique la démarche initiale du cinéaste et les récompenses obtenues aux César, est à chercher ailleurs, dans une séquence dialoguée entre Yohan et une juge d’instruction récemment saisie du dossier (Anouk Grinberg, magnifique) où le policier, après trois ans d’enquête infructueuse, livre le fond de sa pensée : « Ce sont tous les hommes qui ont tué Clara […] C’est quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes. »

Par cette réplique en apparence banale, le personnage principal – et le film avec lui – non seulement entérine le statut victimaire de LA femme une et indifférenciée, mais n’hésite pas à prendre le cas particulier d’un détraqué qui brûle une femme pour en tirer des généralités sur les relations entre sexes. Le milieu du cinéma, très prompt en général à dénoncer les « amalgames » en tous genres, nous prouve, s’il en était besoin, qu’il n’est pas le dernier à les pratiquer… La productrice Caroline Benjo s’engouffre dans la brèche et va plus loin encore lors de son discours aux César : « Dans le film de Dominik, les hommes écoutent. Ils écoutent d'autres hommes débiter un flot de propos profondément misogynes sans se rendre compte de rien ; mais surtout ils écoutent des femmes qui leur tendent un miroir sans concession. » Voilà qu’on associe désormais aux meurtriers les flics chargés de rendre justice aux victimes... De la bêtise à l’abjection, il n’y a qu’un pas.

4 étoiles sur 5 (pour le film, pas pour ce qui l’entoure…).

Pierre Marcellesi

Source : http://bvoltaire.fr

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