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Le blog politique de Thomas JOLY

Accord historique signé à Pékin entre Iraniens et Saoudiens : un défi à l’ordre unipolaire américain

19 Mars 2023, 10:56am

Publié par Thomas Joly

Signe d’un monde en évolution accélérée qui leur échappe de plus en plus, les Occidentaux n’ont pas vu venir l’énorme coup diplomatique que la Chine vient de réaliser au Moyen-Orient. Le 10 mars dernier, l’Iran et l’Arabie saoudite annonçaient depuis Pékin, à la surprise générale, le rétablissement de leurs relations diplomatiques et la réouverture de leurs ambassades après sept ans de conflits.

Une annonce faite le jour où Xi Jinping était reconduit pour un troisième mandat de président, ce qui ne doit rien au hasard. La Chine ne cherche pas seulement à démontrer sa capacité à s’imposer comme un nouvel acteur politique influent au Moyen-Orient au détriment des Américains, elle veut surtout se positionner comme une puissance mondiale, facteur de paix et de stabilité, en opposition aux États-Unis accusés d’entraîner le monde dans une nouvelle guerre froide.

Dans le New York Times, Yun Sun, la directrice du programme Chine au Stimson Center à Washington, souligne qu’il s’agit là d’une bataille de récits : « La Chine dit que le monde est dans le chaos parce que le leadership américain a échoué. » Au moment où les Américains ne cessent de renforcer le discours d’une Chine « révisionniste » et « revancharde », menaçante pour l’ordre international, Pékin bouscule, par son coup d’éclat, la stratégie d’isolement que Washington tente de lui appliquer.

Sur la scène internationale, la Chine n’a pas l’intention de se laisser marginaliser. Bien au contraire, elle est à l’offensive lorsqu’elle défend, comme la Russie, un modèle alternatif fondé sur le multilatéralisme et la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.

« Les États-Unis soutiennent un côté et répriment l'autre, tandis que la Chine essaie de rapprocher les deux parties. C'est un paradigme diplomatique différent », remarque, toujours dans le New York Times, Wu Xinbo, doyen des Études internationales à l'université Fudan de Shanghai.

Grâce à ses liens économiques et commerciaux, ainsi qu’à son refus d’apposer une grille de lecture idéologique et moralisatrice aux relations internationales, Pékin est parvenue à réunir autour d’une table les deux grands rivaux qui se disputent la suprématie régionale au Moyen-Orient.

Dans ce grand chambardement géopolitique, il ne faut pas négliger le poids de l’Histoire. Des accords Sykes-Picot en 1916, qui organisaient le dépeçage de l’Empire ottoman, au projet de « Grand Moyen-Orient » américain et à la guerre en Irak, les Occidentaux ont sans cesse cherché à « remodeler » la région en fonction de leurs intérêts. Les pays concernés ne l’ont pas oublié et Pékin joue habilement avec cette mémoire traumatique en se présentant comme étant, elle aussi, une victime historique d’un Occident prédateur.

En février dernier, la Chine a publié deux documents qui illustrent sa double stratégie en réponse à celle de Washington. Premièrement, renverser les accusations américaines qui la présentent comme une menace pour la paix mondiale. Le document intitulé « L’Hégémonie américaine et ses périls » n’y va pas par quatre chemins : les États-Unis s’ingèrent dans les affaires intérieures des autres pays, appliquent un double standard aux règles internationales, répandent de faux récits, étendent leur puissance en recourant à la violence, pillent et exploitent les richesses mondiales grâce à leur hégémonie économique et financière. Dans sa conclusion, le document indique que la Chine, à l’inverse, s'oppose à « toutes les formes d'hégémonisme » et qu’il est nécessaire d’ouvrir la voie à un « nouveau modèle de relations d'État à État caractérisé par le dialogue et le partenariat ».

C’est le second volet de la stratégie chinoise que l’on retrouve dans le document présentant « l’Initiative de sécurité mondiale » (GSI en anglais), développée par Pékin et qui vise à « éliminer les causes à l’origine des conflits internationaux » et à « améliorer la gouvernance de la sécurité mondiale ». La Chine se pose ici en artisan de paix proposant une alternative à un leadership américain accusé de répandre la guerre, la misère et le chaos.

Les deux documents sont parus au moment où Pékin proposait son plan de paix pour l’Ukraine, ce qui, là encore, ne doit rien au hasard. Parmi ses douze points, le plan chinois insiste sur la nécessité d’« abandonner la mentalité de guerre froide », la sécurité d’une région ne devant pas être obtenue « en renforçant ou en élargissant des blocs militaires ». Pour trouver une issue à une crise qui pourrait devenir incontrôlable, au lieu d’« attiser les flammes » (suivez mon regard), il faut aider la Russie et l’Ukraine « à reprendre le dialogue direct le plus rapidement possible afin de désamorcer progressivement la situation et de parvenir finalement à un cessez-le-feu global ».

On comprend mieux, dans ce contexte, le « contre-récit » déployé au même moment par Washington et l’OTAN affirmant que Pékin s’apprêtait à « fournir un soutien létal à la guerre de la Russie ». Il s’agissait surtout de discréditer l’initiative de paix chinoise susceptible de mettre en danger la position américaine en faveur d’une poursuite de la guerre et d’un affaiblissement de Moscou.

De l’Ukraine, où la Russie défie militairement l’Amérique, au Moyen-Orient, où la Chine la défie diplomatiquement, nous assistons actuellement à une accélération du Grand Jeu sur l’échiquier mondial. Alors que le monde unipolaire se fissure, l’Europe, elle, semble sortir de l’Histoire, incapable de se penser un destin indépendant.

Frédéric Lassez

Source : http://bvoltaire.fr

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