Harry et Meghan : une cérémonie afro-centrée propagandiste
A part quelques tranquilles cénobites ou quelques ermites d’un improbable désert, peu de gens ignorent que Harry et Meghan se sont dit oui. Des milliards, nous dit-on, de téléspectateurs, et une foule heureuse en communion, qui pique-nique à l’ombre des murs centenaires de Windsor.
Joli mariage, cela dit. Mariage royal, même pour un cadet, avec toute la pompe, chevaux, trompettes et oriflammes, de circonstance. Mariage printanier dans un cadre bucolique d’avant la Révolution industrielle, une touche de campagnarde simplicité dans le bouquet de la mariée, fait de muguets et de myosotis provenant du jardin de Harry, en hommage à sa mère dont ils étaient la fleur préférée.
Tout s’est déroulé selon un protocole réglé comme du papier à musique alliant une tradition certaine et une certaine simplicité.
Seulement voilà, il se trouve que la mariée a du sang noir et même du sang d’esclave. L’un des aïeux de la mariée Meghan travaillait dans les champs de coton de Géorgie. Belle promotion sociale.
Nul n’a cru bon de mentionner à un quelconque moment ce que faisaient les autres arrières-grands-pères néerlandais et irlandais de la mariée, sa branche paternelle étant totalement absente de la cérémonie, laquelle était faite pour rappeler la part noire de l’identité génétique et culturelle de Meghan, voire la marteler, afin que nul ne l’ignore. La chroniqueuse du journal britannique The Guardian, Afua Hirsch, ne s’y est pas trompée et titre son article : Meghan Markle’s wedding was a rousing celebration of blackness. (Le mariage de Meghan Markle était une ode passionnée à l’identité noire).
En voici les principaux points forts :
Chœur de gospel qui interprète magnifiquement Stand by me, inspiré par le negro spiritual, Lord Stand by me.
Le très prometteur lauréat du concours Young Musician of the Year 2016, le violoncelliste noir de Nottingham, Sheku Kanneh-Mason qui interprète l’Ave maria de Schubert, Après un Rêve de Fauré et Sicilienne de Maria Teresa von Paradis.
Mais surtout et avant tout, le prêche prononcé par le premier évêque noir de l’Église épiscopale américaine Michael Curry.
Le thème choisi par celui-ci s’inscrit dans la plus pure tradition des prêches de mariages, le thème de l’amour. Rien de nouveau.
Mais l’homélie est prononcée, jouée, surjouée même, à la manière exaltée et théâtrale des télévangélistes des chaines religieuses américaines, ce qui ne manque pas de surprendre dans le décor centenaire de Windsor. Les réactions même discrètes de l’auditoire – coup d’œil de Kate à Camilla, ébahissement de Zara, la fille de la princesse Anne, sourires réprimés ça et là ou sourcils interrogateurs de l’assistance – n’échappent pas aux caméras.
Le discours mêle les citations bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testaments – Cantique des Cantiques de Salomon et Evangile de Saint Mathieu – et les allusions à la culture afro-américaine : Martin Luther King, negro spiritual, le baume de Gilead, esclavage.
Ce dernier point, l’esclavage, est la partie de l’homélie qui est la plus commentée par nos journalistes qui se réjouissent de cette allusion, y voyant la marque de la modernité de la famille royale et l’entrée de la diversité dans la tradition.
Bof ! Prédicateur noir, Martin Luther King, esclavage, j’aurais plutôt tendance à n’y voir rien de bien nouveau, plutôt du convenu, et à réprimer un bâillement poli comme devant une histoire que le grand-père a raconté cent fois. Jusque-là c’est plutôt la forme – Harlem dans la Chapelle Saint Georges – qui attire l’attention que le fond.
Enfin, le discours de l’évêque délaisse le thème de l’amour pour filer la métaphore du feu. Feu et amour, après tout, la métaphore est connue, voire usée. Oui, sauf que là, le discours enchaîne les exemples d’utilisation du feu qui ne semblent plus rien avoir de métaphoriques. Le feu est la mère de toutes les inventions dit en quelque sorte le prédicateur :
« Vous êtes venus à cette cérémonie en voiture », interpelle-t-il l’auditoire. « C’est grâce au feu.
Je suis venu en avion. C’est grâce au feu.
C’est grâce au feu que nous pouvons envoyer des textos, des e-mails, twitter et utiliser Instagram et les réseaux sociaux », enchaîne-t-il devant l’auditoire de plus en plus médusé.
Enfin, il conclut en citant Teilhard de Chardin : « le feu a été l’une des plus grandes inventions de l’humanité », et, rattachant l’invention du feu au thème premier de son discours, il poursuit : « si l’homme s’approprie l’énergie de l’amour, il aura inventé le feu une seconde fois. »
La dernière partie du prêche semble bien tirée par les cheveux : que viennent faire là l’avion et la voiture, quel rapport entre le feu et les réseaux sociaux ? A la limite même du hors sujet, comme en témoignent les mimiques et le langage gestuel de l’assemblée.
Une manière de minimiser les découvertes essentielles de l’homme blanc dont aucune ne surpasse l’invention originelle ? Un retour aux origines ? L’auditoire semble avoir renoncé à comprendre.
La presse a salué un discours politique. Est-il permis de penser qu’utiliser l’occasion d’un mariage pour transformer ainsi une homélie de son but premier, est un abus de la situation ? Plus encore quand le discours n’est pas tant politique que propagandiste. Aurait-on apprécié qu’en honneur des ancêtres irlandais de la mariée, on danse une gigue ou qu’on rappelle les revendications somme toute légitimes de l’IRA ?
Florence Labbé
Source : http://ripostelaique.com
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