Du nouveau sur les réseaux sociaux : le suicide en direct
Sur le terrain de la maison familiale où j’ai passé mon enfance se trouvait un vieux puits. Survivance des siècles passés, l’accès était ouvert aux jardiniers du quartier qui, les jours de canicule – eh oui, ça existait déjà ! –, venaient y puiser un seau d’eau pour mettre leurs bouteilles à rafraîchir. Un matin, entendant un drôle de bruit, j’appelai ma mère : ça venait du puits. Des borborygmes. J’ai couru sur mes jambes de 8 ans, vu sur la margelle une veste de bleu soigneusement pliée et une paire de sabots bien rangés. Je me hissais sur la pointe des pieds pour voir au fond, le crâne du voisin qui s’était jeté dans le puits.
Ma mère lui a lancé la chaîne, et réussi à le persuader de sortir de là.
Mardi après-midi, une jeune femme de 19 ans s’est jetée sous le RER en gare d’Égly, dans l’Essonne. Nouveauté du temps des « réseaux sociaux », elle s’est filmée se donnant la mort, diffusant son suicide sur l’application Periscope. 1.000 spectateurs en direct, dont un bon nombre ont enregistré la vidéo avant de la diffuser sur YouTube. Jeudi matin, le compteur est à plus de 200.000 « vues ». Aucun moyen de l’arrêter.
Pas de chaîne à lui lancer pour la récupérer dans son puits de solitude ; juste une chaîne de voyeurs anonymes pour se repaître de sa mort.
Alors, mourir pour exister ? Oui et non. Le vieux voisin voulait échapper à son cancer. La jeune femme aurait accusé son ex-compagnon de violences et de viol. Le procureur semble sceptique. Au risque de faire bondir, je dirai que le viol aujourd’hui est « à la mode », comme furent à la mode voilà quelques années les agressions bidon (racistes, antisémites, homophobes, etc.). Rien de plus glorieux dans notre monde que le statut de victime, alors « les esprits faibles » en rêvent, forcément. Si tu me plains, j’existe.
Malaise. Gros malaise même, quand on découvre que « au total, la jeune femme aurait enregistré cinq vidéos, dont deux tests, avant de passer à l’action ». Ayant enfin trouvé son public, elle avertit : « Ce qui va se passer risque d’être très très choquant. S’il y a des gens qui sont mineurs, ne restez pas », puis ajoute : « Non, mais je ne vais pas me suicider, arrêtez-vous ! » Mais on ne résiste pas au succès, n’est-ce pas ? Faut-il alors imaginer pour elle cette épitaphe : « Le cabotinage m’a tuer » ?
J’en ai voulu terriblement à notre voisin, même si, du haut de mes 8 ans, j’avais bien compris son appel au secours. Mais il avait, lui aussi, un puits dans sa cour et je ne comprenais pas pourquoi il avait sauté dans le nôtre.
Je veux bien croire, aussi, que le geste de cette jeune femme était un appel au secours, mais l’obscénité de sa mise en scène déclenche en moi un mélange de mépris et de fureur. Et c’est le drame des réseaux sociaux : la porte ouverte à l’obscénité, l’étalage de soi à gogo, le nombrilisme comme philosophie de vie et l’anonymat qui abolit toute réserve pour celui qui vit l’œil collé sur sa lucarne. Un déferlement des ego sans aucune retenue, contre lequel nous ne pouvons rien sinon tenter encore d’ériger les barrages moraux de l’éducation. Hélas, il est déjà bien tard pour cela.
Marie Delarue
Source : http://www.bvoltaire.fr
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