Justice à bout de souffle : qui fait les frais de cette situation ubuesque ?
C’est le ministre de la Justice qui le dit : la justice française est « à bout de souffle », avec un ministère qui « n’a plus les moyens de payer ses factures ». Il est intéressant d’entendre monsieur Urvoas effectuer un constat que partagent tous les magistrats, les avocats, les experts et nombre de justiciables. Et il ne s’agit pas là d’une banalité syndicale braillée entre deux slogans : la situation de la justice française est véritablement préoccupante.
Le garde des Sceaux donne quelques exemples : « La direction de l’administration pénitentiaire a 36 millions d’euros de factures impayées pour des hospitalisations de détenus », explique-t-il. Ou encore : « L’État a une dette de 170 millions d’euros » de frais d’interprètes, de laboratoires d’analyses ADN, d’experts, d’écoutes téléphoniques… « Tous ces prestataires privés sont payés au minimum avec quatre mois de retard », déplore le ministre. « Je connais même un tribunal où on n’imprime plus les jugements parce qu’il n’y a plus d’argent pour les ramettes de papier ! »
La réalité est encore plus sombre : l’obligation de transmettre les actes de procédure par voie électronique se double, pour les avocats, d’une copie papier : les greffes n’ont pas les budgets pour imprimer. Dans de nombreux tribunaux, le dossier n’est renvoyé à l’avocat avec le jugement qu’à condition qu’il remette une enveloppe timbrée. Mais cela n’est rien à côté des retards insupportables de l’administration : il faut plus d’une année pour obtenir d’un juge des tutelles une ordonnance autorisant la vente d’une maison appartenant à un majeur protégé – le délai dissuade les acquéreurs qui vont voir ailleurs ; souvent, les jugements signés – indispensables pour les exécuter – ne parviennent aux avocats que plusieurs mois après avoir été rendus. Et il devient pratiquement impossible d’obtenir en temps raisonnable les copies des procès-verbaux de police : les services compétents sont débordés et souvent dépourvus de papier ; quant à la transmission numérique, l’institution n’y est pas prête partout.
À qui la faute ? En premier lieu à l’État qui, depuis 25 ans, considère la justice de la même manière que l’armée : une variable d’ajustement budgétaire. Les politiciens ne débordent pas d’amour envers les magistrats, que Sarkozy a même traités de « petits pois », et ces derniers le leur rendent bien.
En second lieu, à une augmentation vertigineuse du nombre d’avocats qui, faute de spécialisation et de formation suffisante, grossissent chaque année les bataillons des généralistes. Le résultat est, mathématiquement, une augmentation de la demande judiciaire : les affaires familiales – exemple type – représentent 50 % de l’activité des TGI…
Enfin, une mentalité qui reste largement pétrie de fonctionnariat : lorsqu’un avocat se doit d’être hyper-réactif s’il veut conserver sa clientèle, un juge qui n’a pas le temps n’imagine pas toujours de le prendre… Quant aux greffiers et personnels administratifs, en croiser certains dans les couloirs dispense de regarder sa montre. Ceux-là nuisent à l’image de ceux (juges et greffiers consciencieux) qui travaillent dans l’ombre avec des bouts de ficelle sans compter leur temps.
Reste que les justiciables font les frais de cette situation ubuesque. Et que la belle déclaration de monsieur Urvoas risque de finir, comme toujours, au musée des bonnes intentions.
François Teutsch
Source : http://www.bvoltaire.fr
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