Charlie Hebdo : vers la fin de la grand-messe médiatique ? (par Nicolas Gauthier)
Si l’on résume, Charlie, c’est la France. Et la France serait Charlie. La preuve : près de quatre millions de personnes ont défilé pour un journal qui ne vendait qu’à peine… trente mille exemplaires.
Il est vrai qu’entre-temps, et ce, à cause du massacre qu’on sait, Charlie est devenu phénomène de dimension mondiale. Du coup, ce mercredi, tout le monde fut Charlie. Voyez les queues devant les kiosques et autres marchands de journaux. On se serait cru pendant l’Occupation, ambiance Au bon beurre, du regretté Jean Dutourd.
Comme je ne suis pas du genre à poireauter trois heures pour deux topinambours et un quignon de pain rassis, j’avais passé commande au bar-tabac du coin, tenu par une aimable beurette, histoire de juger, de visu, l’objet du délit. Expertise faite, l’évidence s’impose : ce journal est aussi mauvais qu’il l’était jadis.
En une, encore une caricature du prophète, certes moins injurieuse que les précédentes. Pourtant, si on la retourne, même les yeux les moins bien affûtés remarqueront que le nez de Mohamed forme une indéniable biroute. Il paraît qu’il y en a que cela fait rigoler. Pas le pape François, manifestement, qui, dans l’avion qui le conduisait aux Philippines, a déclaré : « La liberté d’expression est un “droit fondamental” qui n’autorise pas à “insulter” ou à moquer la foi d’autrui. […] “Tuer au nom de Dieu” est une “aberration”. Mais la liberté d’expression n’autorise pas tout et elle doit s’exercer “sans offenser” », a-t-il martelé. « Car “si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision”. »
Pour le reste, les mêmes dessins, parfois drôles, souvent pas. Une petite émotion pour les derniers petits Mickey signés Cabu et Wolinski ; mais bon, ce n’est pas la Sixtine non plus. Et puis, les sempiternels papiers complotistes contre leur petite entreprise qui, désormais, ne connaît plus la crise. Hier, les menées souterraines d’une extrême droite tentaculaire ; aujourd’hui, les visées de domination mondiale des réseaux islamistes. Comme si tous ces déclassés sociaux n’avaient que ça à foutre d’un journal qui allait bientôt compter plus de rédacteurs que de lecteurs…
En attendant, le mur des lamentations commence à accuser quelques fissures. Ainsi, L’Obs, arbitre des élégances démocratiques, mais également l’un des hebdomadaires les mieux foutus de France, rompt le charme avec un papier signer Delfeil de Ton, ancien collaborateur de Charlie Hebdo : « Après avoir été désagréable avec François Hollande, je vais être désagréable avec Charb […] Il était le chef. Quel besoin a-t-il eu d’entraîner l’équipe dans la surenchère ? Novembre 2011, premier attentat contre Charlie Hebdo, incendie des locaux, après un numéro surtitré “Charia Hebdo”. […] Il ne fallait pas le faire mais Charb l’a refait. Un an plus tard, septembre 2013, après une provocation qui avait fait mettre nos ambassades en état de siège dans les pays musulmans, je fus amené à écrire toujours dans L’Obs : se situer à l’extrême gauche et s’entendre dire par NPA qu’on participe à l’imbécillité réactionnaire du choc des civilisations, se définir écologiste et se faire traiter de “cons” par Daniel Cohn-Bendit, ça devrait donner à réfléchir… Je t’en veux vraiment, Charb. Paix à ton âme. »
Bref, une fois le soufflet médiatique retombé, nous allons peut-être avoir le droit de passer à table. Et de causer pour de bon.
Commenter cet article