Christophe de Margerie : une histoire française (par Nicolas Gauthier)
Depuis la mort de Philippe Pétain, dont le bilan vient d’être récemment, globalement et positivement réévalué par Éric Zemmour, jamais la mort d’un moustachu n’aura suscité autant de larmes et de vagues que celle de Christophe de Margerie, défunt patron de Total.
Il avait fait don de sa personne aux hydrocarbures, comme le Maréchal à la France. Total, première entreprise française. Fleuron hexagonal. Bijou économique de la nation. Et tagada tsoin tsoin et toutes ces choses. Mais, avant que l’on ne mette le grand homme sous terre, il ne serait pas idiot que nos confrères, eux, redescendent sur terre. Car Total n’était plus une entreprise française depuis belle lurette, puisque privatisée en 1993 par Édouard Balladur, alors Premier ministre. Certes, Total battait encore pavillon français ; comme certains bateaux au long cours font de même de celui du Panama.
La nature de ses actionnaires est à même enseigne de complaisance : capitaux chinois et surtout qataris, faisant de cet émirat l’un des principaux décideurs de ce qui est devenu le cinquième groupe pétrolier privé au monde. Plus franco-français, c’est effectivement ardu à dénicher… L’entreprise est d’ailleurs tellement « citoyenne » qu’elle ne s’acquitte pas de l’impôt sur les sociétés dû au Trésor public français. Mieux, il est question qu’en 2017, l’État lui signe un chèque de 80 millions d’euros, au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi et du crédit impôt recherche. 80 millions qui, bien sûr, seront piqués dans la poche du contribuable. Bel exemple de civisme et de patriotisme économique… Mais il est vrai que les usines à gaz – ou pétrolifères, en l’occurrence –, pondues par nos brillants technocrates sont tellement bien ficelées qu’il suffit généralement de mensualiser quelques avocats fiscalistes pour en percer les brèches et en contourner les écueils.
Au-delà des querelles de chiffres – Total s’acquitte néanmoins d’autres impôts sur le territoire –, un fait demeure : nos dirigeants, depuis 1983, auront été les premiers artisans de la désindustrialisation, du déclin, voire du suicide français, pour reprendre une terminologie zemmourienne. Car ce fut là le grand legs du gaullo-communisme : une France, seule nation à rivaliser avec les USA et le reste de la planète en ces domaines éminemment stratégiques que sont le nucléaire, le pétrole, l’aéronautique, l’armement, l’automobile, le BTP, le chemin de fer, la recherche spatiale, l’industrie pharmaceutique, l’agriculture et encore doit-on en oublier, dont un modèle social naguère plus que performant et ayant inspiré nombre d’autres nations.
Cela, alors que les cendres du Général commençaient à peine de refroidir, a été minutieusement détricoté, un peu comme ces fils de famille vendant à l’encan châteaux et bijoux de famille. 1983, disions-nous… Jean-Pierre Chevènement veut renforcer cette force industrielle, mais François Mitterrand préfère écouter Jacques Delors, père de l’Europe à douze membres et du mouton à cinq pattes qui, lui, parvient à convaincre le Président de laisser la France grande ouverte aux quatre vents d’une finance déjà mondialisée. Puis, la plate-forme gouvernementale du RPR et de l’UDF, en 1988, gracieusement fournie clefs en main et sur un plateau par la fondation Heritage, notoire épigone de la CIA, laquelle prévoyait le démantèlement programmé de cet outil industriel à nul autre comparable. Édouard Balladur assura alors qu’à l’aide de « noyaux durs », soit des investisseurs patriotes – bel oxymore –, ce qui serait vendu à l’étranger avait vocation à demeurer français.
Les libéraux ont toujours oublié que l’histoire était tragique. L’histoire, elle, se rappellera surtout que ces mêmes libéraux, de droite comme de gauche, sont des naïfs, d’autant plus nuisibles que tragiquement cons.
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